Montée…
Cette journée, nous l’attendions tous et la redoutions à la fois. Tant d’interrogations sur l’importance des efforts et de la technicité imposés par le parcours, sur l’état de nos forces, sur nos réactions physiologiques respectives au-delà des 4000m d’altitude, sur la présence ou non de neige, et bien évidemment sur la probabilité de croiser le yéti !
La nuit passée à Jomosom n’a pas été fameuse, et la température glaciale du matin sombre sollicite déjà fortement notre mental, composant essentiel dans la grosse ascension du jour.
Équipés en mode hivernal, après une halte rapide à la Modern Bakery de la ville, élue meilleure boulangerie du Mustang par Tangi, nous repassons la porte de la cité pour franchir à nouveau la Kali Gandaki par un des rares ponts en dur de la région. Une courte montée sur piste, puis très vite, le vif du sujet avec un gros portage dans la gravière, où les corps s’échauffent face au spectacle du lever de rideau du soleil sur l’armée de sommets au garde-à-vous.
Laxman notre porteur, est de la partie. Tangi a fortement insisté auprès de Banana pour qu’elle accepte son rôle de « bourriquet » durant la matinée, et il nous accompagne donc pour pousser, porter, ou rouler sur le petit Santa Cruz, jusqu’à l’heure du déjeuner, d’où il redescendra s’occuper de nos bagages pour une courte étape en bus vers Marpha. Et c’est heureux, car sans lui, Susie n’aurait sans doute pas eu la force de remonter à nouveau au-dessus des 4000m.
Tandis que les premiers rayons du soleil basculent enfin sur notre versant, nous poursuivons sur le sentier de bergers qui doit nous mener jusqu’au point haut.
Celui-ci est assez large et régulier, même roulable de temps à autres, en tous les cas pour ceux qui en ont le courage. Nous y croiserons deux personnes durant l’ascension : un porteur de branches de conifères, sans doute cueillies beaucoup plus haut tant les arbres ont été décimés pour le chauffage et la construction dans cette zone, et un berger avec ses chèvres.
Côté animal, de nombreux rapaces de grande envergure, des bouquetins, ou ongulés asiatiques y ressemblant, et des yaks, aperçus depuis notre point culminant sur les très hauts plateaux.
Le plus beau piquenique du monde
La pause déjeuner est plus que bienvenue et restera dans nos mémoires comme le piquenique le plus panoramique de notre vie de vététiste, dans un décor de hauts sommets sur 360°, avec à l’ouest l’incontournable Dhaulagiri fumeur, et au sud le Nilgiri nord et son grand frère le Tilicho Peak (7134m) en arrière plan. Et nous sommes exactement à l’endroit où les pilotes de Urge Népal 2010 avaient établi leur campement, puisque eux, montaient en deux étapes.
Pendant que Tangi joue à Mac Gyver avec une boite de conserve de thon récalcitrante, nous assistons à une avalanche sous Nilgiri Himal, avec le gros nuage aérosol et le grondement sourd qui l’accompagnent. Quant à Laxman, il n’est pas particulièrement fatigué, mais ne tient plus en place ! Non pas qu’il craigne de louper le bus, mais la simple idée de ne pas manger son Dalh bat quotidien lui est insupportable, et il repart sous les moqueries amicales de Tangi en petite foulée vers la vallée et Jomosom.
Nous continuons de notre côté avec un rythme plus lent, sous un soleil qui a fait bondir la température ambiante d’une quinzaine de degrés par rapport au matin. Certains passages du sentier se font un peu plus escarpés, ou déversants.
Les limites
Au passage à proximité d’une bergerie, Susie finit par craquer et décide malheureusement d’en rester là pour l’ascension. Elle ne voit plus l’intérêt d’atteindre coute que coute cette cote 4300, alors que son mental est déjà bien fragilisé par une grosse migraine, et elle tient à conserver un minimum d’énergie pour la descente à venir.
Avec inquiétude et la mort dans l’âme, je la laisse seule dans ce lieu sauvage et éloigné de tout pendant que nous effectuerons le final de l’ascension.
Astérisme n’est pas au mieux non plus, mais il persiste et s’accroche à son objectif à pas lents, entre-coupés de nombreuses pauses de récupération.
Devant, avec Florent et Tangi, c’est un peu l’excitation de l’objectif qui s’approche, et après le passage d’un fond de torrent gelé, c’est dans un rythme soutenu que nous montons en poussette le dernier travers avant notre destination finale : un promontoire juché d’une grande flamme rouge et de multiples drapeaux de prières.
Ni un col, encore moins un sommet, mais un point symbolique à 4300m qui suffit très largement à notre bonheur. Le sentier se poursuit plus loin en direction du col de Mesokanto à 5121m, au-delà duquel se situe le très grand Tilicho Tal, un lac qui s’allonge sur 4km et situé à 4920m, ce qui en fait simplement le lac le plus haut du monde !
Après nos 1600m d’ascension, la journée est bien entamée, tandis que la neige persistante apparait sur le sentier vers les 4500m. Poursuivre n’aurait donc pas du tout été raisonnable, même si en pareil cas, on ne peut s’empêcher de porter notre regard vers un point plus élevé. Magnétisme des hauts sommets.
La descente marathon
Après une longue série de photos et de grandes inspirations pulmonaires, comme pour garder un maximum de cet air rare des cimes, et après qu’Astérisme ai terminé son grand déballage post descente 🙂 , je monte la caméra sur le casque et nous entamons le retour par le même chemin, un peu crispé et sur la réserve pour ma part.
Si Tangi part comme une balle devant, Florent m’attends régulièrement, ce qui est nettement mieux pour les images embarquées, tandis qu’Astérisme ferme la marche.
Nous rejoignons rapidement la cote 4000 où Susie nous retrouve avec soulagement. En plus des heures qui passaient longuement, elle se refroidissait, et commençait à subir cette angoisse de la solitude dans un lieu aussi éloigné de tout, tandis que plusieurs rapaces commençaient à tournoyer au-dessus d’elle, comme les vautours dans les westerns ! En plus d’une montée de forte migraine due à l’altitude, heureusement vite amoindrie dans la perte rapide de dénivelée qui a suivi.
La descente n’est pas toujours facile. Un terrain sec et glissant, des portions parfois très déversantes avec des passages gazeux, et on a du mal à imaginer les temps réalisés par les meilleurs pilotes de Urge sur ce même parcours un an plus tôt. Mais le soleil qui descend change la lumière et révèle sur un autre angle toute l’ampleur et la magie de ce retour vers la vallée. Quelques passages freeride sur la fin, et à nouveau roulage face au vent dans le couchant, sur les berges ou au fond de la Kali Gandaki, avec quelques bons « coups de cul », jusqu’au franchissement de la rivière sur un pont Népalais qui matérialisait la ligne d’arrivée de Urge Népal 2010.
Il nous reste encore un peu de roulage jusqu’à Marpha la belle, dernier effort d’une très grosse journée, où nous retrouvons avec plaisir notre lodge, l’Hôtel Mount Villa. Des bières pour se réhydrater, un diner copieux autour de la grande table chauffée par les pieds au brasero, échanges d’impressions à chaud sur notre Everest du jour et calvados local précèderons une longue nuit de sommeil réparateur.
Vidéo
Le reportage Urge Népal avec Fabien Barel et Nico Vouilloz sur le même parcours un an plus tôt !
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